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Moi, ma gueule et mon chien

J’ai réalisé mon premier couteau en 2013. Une belle galère ! Un acier tout juste bon à ferrer les ânes, l’émouture faite à la lime, la trempe dans le barbecue familial avec le sèche-cheveux en guise de soufflerie… Beaucoup de doutes, d’erreurs et de douleurs, mais surtout : un gros coup de cœur ! Une passion naissante pour ne pas dire dévorante.
Depuis ce jour, il ne s’est pas passé une semaine sans que je passe quelques heures au moins à l’atelier. Même en vacances, j’ai toujours un œil qui traîne à chercher un bout de quelque chose qui pourrait servir à faire un manche.
L’apprentissage fut long : beaucoup de lectures et d’échanges avec des couteliers expérimentés que je ne remercierais jamais assez. Histoire de la coutellerie, structure des aciers, techniques d’usinage, travail du bois et de plein d’autres matériaux, traités de métallurgie avec des diagrammes sponsorisés par Doliprane, outillage spécialisé, c’est dingue tout ce qu’il faut savoir et connaître pour fabriquer ce qui est, au fond, l’un des premiers outils de l’humanité.
À ce jour, je travaille quasi exclusivement par « enlèvement de matière » (stock removal en grand breton). Pour résumer, il y a deux manières de former un couteau à partir d’un bout d’acier. La forge (bien connue, car ancestrale et spectaculaire) et l’enlèvement de matière. Pour faire simple, c’est un peu la différence entre un potier et un menuisier. Le premier va modeler la matière pour arriver à la forme voulue, l’autre va partir d’un tronc et enlever du bois jusqu’à avoir ce qu’il veut. On peut débattre longuement des avantages et inconvénients des deux méthodes, mais si tu es de ces fâcheux obtus qui soutiennent mordicus qu’une des deux techniques donne de meilleurs couteaux, je te préviens que le débat va te coûter cher en boisson !
Ah ! Au fait, je n’ai pas de chien !

Photo par Alexandra Koeniguer
Photo par Alexandra Koeniguer

L’atelier

En coutellerie, on travaille des choses bien diverses, l’acier bien entendu, le bois évidemment et de nombreuses autres matières comme le laiton, la résine, la corne, etc. Ça semble simple dit comme ça, mais ce travail nécessite un outillage et des fournitures dont on n’imagine pas la variété et la complexité.  Une bonne partie de mon équipement est fait maison, d’abord parce qu’en neuf, il coûte souvent un bras, mais aussi parce que, fait maison, l’outil correspond en tout point à ce dont j’ai besoin. De plus, je peux le réparer facilement et je le modifie à ma guise en fonction des besoins. C’est souvent aussi de l’outillage détourné de sa fonction originelle moyennant quelques modifications plus ou moins profondes.  Cette idée est très importante dans ma démarche, comme une sorte de mise en abîme : travailler sur l’outil qui me permettra de travailler, comme je veux, sur l’outil que sera le couteau. Au fait, si vous visitez mon atelier, j’aime bien dire que mon taf c’est de faire de la poussière et que quand j’ai terminé il me reste parfois un couteau dans ma main. Évitez donc de porter votre smoking en tweed anglais ce jour-là.

Ma vision du couteau

Deux simples choses me guident dans le choix des couteaux que je fabrique : ce que j’aime et ce que je n’aime pas.
J’aime manger, faire à manger et les personnes qui font à manger, c’est donc tout naturellement que je suis allé très majoritairement vers les couteaux de cuisine. Je n’aime pas,  je déteste même,  le couteau « arme » donc je refuse systématiquement toute commande à connotation « tactique ». D’ailleurs, je fais rarement des couteaux pliants avec lames bloquantes, qui sont pour moi parfaitement inutiles dans l’assiette, au casse-croûte ou pour la  cueillette des champignons. Si c’est ce qu’il vous faut, d’autres couteliers font ça très bien. Moi, pour le moment, je n’ai pas ni l’envie ni le savoir-faire.
Je refuse aussi, pour les manches, de travailler des matériaux dont la consonance néo-colonialiste me pique l’échine. Je ne veux pas qu’à l’autre bout du monde, un type soit sous-payé pour couper des arbres centenaires ou flinguer le permafrost à la recherche d’ivoire de mammouth afin qu’en Europe on puisse se faire un petit plaisir. S’il m’est arrivé quelques rares fois de travailler des bois exotiques (car oui, il y a des choses magnifiques) c’était toujours de la récupération. Mais je ne commanderais pas ce genre de bois même avec un label ‘équitable’. Pas pour le moment en tout cas, et pas tant que je n’aurais pas une certitude à 100% que ni la nature ni l’homme ne soient exploités honteusement dans cette histoire. Et oui, je sais aussi qu’une bonne partie de mes outils ou consommables viennent probablement de Chine ou d’un autre pays où les droits de l’Homme ont la valeur d’un coton-tige usagé. Mais là où j’ai le choix d’agir, je le fais.
Bien sûr, tout ça n’est pas une critique envers mes collègues et souvent amis couteliers : c’est ma manière de voir les choses et elle n’engage que moi.

Dessin par Matteo Tarenghi d'après les photos d'Alexandra Koeniguer

Mes schlass, mes surins, mes couteaux.

Tu l’auras compris, mes couteaux sont faits pour servir. Rien ne me fait plus plaisir que de les savoir sur la planche de découpe d’une cuisine ou d’un restaurant, dans la poche d’un promeneur ou sur la table d’un bon vivant.

Ils ont tous un nom lié à une chanson. Mais inutile d’étudier  la symbolique cachée des paroles pour comprendre pourquoi : c’est souvent juste un clin d’œil à une matière, une forme, un disque que j’écoutais en le dessinant. Mais ce sont toujours des morceaux que j’aime beaucoup.

Personnellement, je préfère les aciers carbone mais je comprends parfaitement que ça peut être une contrainte que certaines personnes ne veulent pas assumer. C’est pourquoi je travaille aussi, sans aucun complexe, des aciers inox.

J’en ai déjà un peu parlé : pour les manches, je privilégie des bois locaux, souvent issus des vergers ou forêts qui m’entourent.  J’aime aussi tenter des expériences sur des matériaux incongrus ou de récupération. La lame, c’est de la technique, le manche, c’est de la création ! J’aime beaucoup cette dualité.

Mes lames sont signées de mon logo-arbre. S’il a des feuilles c’est que le couteau a été réalisé au printemps ou en été, s’il n’en a pas, c’est qu’il a été fait en automne ou en hiver.
Et si la lame est signée d’un simple MS, c’est que le couteau date d’avant juin 2021.

Une dernière chose : je suis un bien piètre photographe, donc si tu veux voir mes créations bien mieux que sur ce site, passe me voir en exposition.

Photo par Alexandra Koeniguer